Dominique de Villepin, l'homme de l'infâme CPE (Contrat Première Embauche) qui causa sa perte, tant et si bien que le président Chirac décida de ne pas appliquer cette loi ultra-libérale, propose désormais rien de moins que le "revenu citoyen", à savoir un "revenu garanti à tous, de l’ordre de 850 euros", dans une tribune publiée dans Libération du 1er mars.
Ce faisant, Villepin rejoint la large troupe d'économistes, de philosophes et de politiques de tous bords qui préconisent cette mesure, visant d'une part à s'affranchir du work-fare, c'est-à-dire de la mise en place d'allocations sociales subordonnées au flicage des chômeurs (modèle du RSA mis en place par l'énarque Martin Hirsch), et ainsi de rendre, comme il le dit très bien, sa dignité à chacun, et d'autre part à économiser les innombrables frais d'administration qui tiennent à la multiplication d'allocations de différents genres, allant toutes de pair avec des dispositifs plus ou moins coûteux de surveillance, de gestion et de fliquage.
L'idée d'une "allocation universelle", "revenu minimum garanti" ou "revenu citoyen", est en effet défendu, sous des formes différentes, tant par le Prix Nobel d'économie Milton Friedman, fondateur du monétarisme, que par l'économiste PS Jacques Marseille, comme le rappelle Hugues Serraf sur Atlantico, ou le philosophe politique Philippe Van Parijs, qui défend "l'allocation universelle la plus élevée possible" dans son excellent Qu'est-ce qu'une société juste? Introduction à la pratique de la philosophie politique (Le Seuil, 1991). Elle a été portée, en France, par les Verts; défendue par Lula qui tend, au Brésil, à étendre le programme Bolsa Familial de façon à ce qu'elle devienne un revenu universel; ou mise en place en Namibie, conduisant le Courrier international à titrer Les miracles du revenu minimum garanti.
Mais c'est bien la revue Multitudes, proche du philosophe italien Toni Negri, co-auteur d'Empire avec Michael Hardt (naguère qualifiée par Le Monde de "Bible des altermondialistes"), qui a fait le plus, en France, pour promouvoir cette idée (cf. par ex. ici et là).
Décrite un peu plus en détail par L'Expansion, qui n'a cependant pas tout compris de l'idée, le projet de Villepin viserait à instaurer un revenu universel de 850 euros, qui serait versé à tous ceux au-dessous de ce seuil; au-delà, chacun recevrait un revenu dégressif, jusqu'au seuil de 1 500 euros. En bref, seuls ceux qui vivent déjà avec plus de 1 500 euros ne bénéficieraient pas de ce revenu.
Contrairement au RSA et divers dispositifs de surveillance des chômeurs, cette aide serait inconditionnelle - ou plutôt, puisque tout n'est pas très clair, elle serait conditionnée à une activité sociale ou/et politique, de quartier ou humanitaire, associative, culturelle, etc., bref, à un engagement dans la vie de la cité. Ce qui revient à prendre acte d'un contexte de chômage massif et structurel, du taux important de jeunes condamnés aux stages et aux emplois aidés, d'un manque d'investissement citoyen, et du détournement d'une part des citoyens de la société de consommation et de la valeur "travail" - ce qui n'est pas toujours bien accepté par les autorités, comme l'indique l'arrêt récent de la Cour européenne des droits de l'homme qui nie aux "travellers" et autres habitants de tipis, yourtes, etc., menacés par LOPPSI II, les mêmes droits qu'aux "gens du voyage" "ethniques".
Comment la financer, demande naturellement L'Expansion ? Dans Le Monde, Villepin présentait ainsi le projet:
Je veux proposer une refondation française. Il y a une formidable aspiration des Français à la dignité. C'est pour cela que je proposerai, dans le projet que je présenterai début avril, un revenu citoyen, fixé autour de 850 euros, pour tous les Français ayant des revenus inférieurs au revenu médian, c'est-à-dire 1500 euros, qui serait garanti et versé de façon dégressive jusqu'à ce niveau de revenus. Dans un pays riche comme la France, chaque citoyen doit disposer d'un socle de dignité inaliénable. C'est un choix de solidarité. C'est aussi un élément pour le dynamisme économique et social de notre pays. Le financement serait assuré par le redéploiement des aides sociales et une hausse ciblée des impôts.
Nous avons un vrai problème de répartition des richesses. La fiscalité a un double objectif d'orientation de notre économie et de juste redistribution. Aujourd'hui, cet objectif est très mal rempli. Notre fiscalité doit être simplifiée et rendue plus progressive, avec un seul impôt sur le revenu, et un impôt sur le patrimoine, avec le rétablissement d'un impôt fort sur les successions, parce que c'est un choix de société.
C'est bien la simplification du système des aides sociales qui doit permettre de financer cette mesure - Villepin s'inscrit ainsi dans la droite ligne des projets des économistes ayant soutenu le revenu universel. En bref, L'Expansion, qui prétend que "le compte n'y est pas", n'a rien compris. Pour le journal économiste:
Il semble également délicat de toucher aux prestations maternité-famille (54 milliards d'euros) ou à celles du logement (16 milliards). Restent les prestations liées à l'emploi (36 milliards d'euros) et à la pauvreté et l'exclusion (11 milliards), mais cela impliquerait de revoir tout le système de l'assurance chômage.
Non seulement il s'agit en effet précisément de "revoir tout le système de l'assurance chômage", qui n'a jamais pu s'adapter au chômage structurel qui affecte nos sociétés depuis des décennies, mais on ne voit pas pourquoi on ne pourrait pas toucher aux prestations maternité-famille ou de logement, dès lors qu'une allocation unique et universelle remplacerait ce bric-à-brac. Economie de gestion, économie de fliquage!
Alors, que Villepin reprenne une mesure défendue par les Verts, et quand bien même cela aurait un petit air de campagne - ce serait inadéquat de parler de "démagogie", tant cette idée paraît absurde à tant de gens, convaincus qu'il serait impossible de convaincre les gens de bosser s'ils disposaient de toute façon de 850 euros, somme qui ne permet pourtant guère de goûter aux délices de la consommation - on ne peut que se féliciter qu'il mette sur le tapis ce revenu universel et lui donne un large écho médiatique.
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