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jeudi 4 février 2010

Tours et détours de la période de réserve et de la tradition républicaine

Le fonctionnaire lambda a-t-il le droit de participer à la vie publique en période pré-électorale?

L'Inspecteur d'académie d'Evry vient d'envoyer une lettre (datée du 21 janvier) à ses sujets, déclarant qu' "à compter du 8 février 2010 s’ouvre la période dite «
période de réserve » dans la perspective des échéances électorales de mars 2010." En bon pédagogue, il précise sa pensée:
"Deux temps sont prévus : jusqu’au 1er mars, il est demandé d’éviter de participer aux manifestations publiques susceptibles de présenter un caractère pré-électoral, en raison des discussions ou des invités. A compter du 1er mars jusqu’au 21 mars, il faudra s’abstenir de prendre part à toute cérémonie publique.

La « période de réserve » est un usage systématiquement observé par l’administration d’Etat à chaque échéance électorale. Son objet essentiel est de garantir la neutralité de l’Etat et des services publics, et de s’assurer qu’aucun fonctionnaire ne fera usage de sa fonction à des fins de propagande électorale. Cette réserve est également la garantie pour les agents de l’autorité publique de leur éviter, dans le cadre du service, d’être mis en difficulté lors d’une manifestation publique au cours de laquelle pourrait naître une discussion politique."

Les professeurs et autres "enseignants-chercheurs", titularisés ou précaires, n'étant guère habitués à être traités comme des préfets aux ordres, cette nouvelle - répercutée ailleurs - a suscité chez eux quelques interrogations. Autant dire que cet "usage systématiquement observé" le sera d'autant plus que l'administration s'efforce de rappeler à ses ouailles cette tradition républicaine qui ne souffre pas d'exception.

Aucune? Ici ou là un îlot d'irréductibles?... Concernant la "période de réserve" des préfets, certes astreints à davantage de retenue dans l'exercice de leurs fonctions que les vulgaires profs malmenés par le réchauffement climatique - totalement indépendant, comme chacun sait, des comportements humains -, le sénateur Louis Doubet réclamait déjà, le 4 juillet 2002, lors d'une question au gouvernement, des éclaircissements concernant la possibilité, tout de même, d'accorder à ces loyaux serviteurs de l'Etat une exemption pour la participation aux commémorations de la Seconde guerre mondiale. "Une telle présence, rappelait-il, sans prise de parole [l'insolence a ses limites], ne remettrait pas en cause l'économie générale d'une construction jurisprudentielle, il est vrai reprise en 1983 dans le statut de la fonction publique par la loi Le Pors n°83-364 du 13 juillet 1989."

Ouf! La paix et l'honneur des morts ne sera pas entamé par le tumulte de la vie électorale et démocratique... qui venait de réussir à faire élire, avec plus de 80% des voix, le plus grand démocrate de France, avec l'appoint des voix soudées par l'heureux réflexe républicain. Participez, ne participez pas... les mots d'ordre définissant ce que constitue un comportement civique ont une tendance sûre à changer régulièrement de pôle magnétique.

Trois ans plus tard, rebelotte! C'est cette fois le (quasi)-rescapé de Clearstream qui, alors Premier flic de France, ordonne, le 18 mars 2005, aux "2,6 millions d’agents de l’État" de respecter une "période de réserve" en s'abstenant, du 16 à 29 mai, de "participer, dans l'exercice de leurs fonctions, à des cérémonies publiques ou à des manifestations auxquelles ils pourraient être conviés."

Dans "l'exercice de leurs fonctions", mention que la préfecture du Nord avait oubliée au passage, comme le signalait alors L'Humanité, qui dans le même temps rapportait les réactions unanimes des syndicats (CGT, FO, FSU) s'indignant de cette limitation stricte de la liberté d'expression et de la participation civique des fonctionnaires à la vie publique de leur pays, et soulignant l'absence de fondement juridique de celle-ci, l'UGFF-CGT se fendant d'un courrier agacé au ministère. La lettre des maires, plus conciliante, soulignait que cette « période de réserve » ne s'applique pas formellement aux fonctionnaires territoriaux mais que les habitudes républicaines incitent au même type de réserve.

Rien ne vaut en effet le rappel aux "habitudes" et autres "réflexes" et "traditions républicaines" pour empêcher aux fonctionnaires de participer à la vie publique de la cité, comme tout un citoyen, lorsque le cadre juridique républicain a depuis longtemps entériné le fait que, somme toute, les fonctionnaires ont aussi le droit d'être autre chose que de simples rouages de la machine, fût-elle démocratique, et qu'ils sont habilités à parler et agir dans l'espace public - en dehors de "l'exercice de leurs fonctions", bien entendu, comme l'écrivait déjà Weber et, avant lui, un certain Emmanuel. Hasard du calendrier? Le 27 janvier, le consul de France à New York organisait un débat intitulé "Islam et identité nationale en France", sans doute afin d'éviter que, dans le cadre de son service, il soit "mis en difficulté lors d'une manifestation publique au cours de laquelle pourrait naître une discussion politique."

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